I
Au fil des ans, Dougal Keane avait développé une règle de
conduite personnelle : ne jamais se lancer à l’aventure avec
des personnes qu’on apprécie. Si la situation était tendue,
cela pouvait se transformer en : ne jamais se lancer à l’aventure
avec des personnes qu’on ne voudrait surtout pas voir
mourir. Là, au plus profond des cryptes sous le Promontoire
Divin, il était en parfaite concordance avec cette règle, car
il détestait au plus haut point ses compagnons. Il détestait
tout autant sa mission. Pire que tout, à cet instant même, il
pestait contre la chaleur moite ambiante.
L’accablante température estivale qui enveloppait
le Promontoire Divin en surface s’était insinuée jusque
dans les boyaux de ce complexe funéraire, où elle suintait
comme une blessure oubliée. Les vents qui balayaient la
paroi rocheuse où s’ouvraient les entrées des catacombes
parvenaient à disperser la puanteur, mais à l’intérieur
des tours et des détours des souterrains, Dougal n’avait
aucune chance d’y échapper. Les gens avaient apporté leurs
morts en ces lieux avant même la fondation de la nouvelle
capitale de la Kryte, il aurait pu jurer parvenir à discerner
l’odeur caractéristique de chacun d’eux.
Leurs explorations les avaient conduits dans des
secteurs dont même Dougal ignorait l’existence. À chaque
nouvel embranchement, Clagg avait consulté sa carte,
puis systématiquement proposé de suivre la direction la
moins fréquentée. La pierre polie de la Porte du Crâne au
Promontoire Divin avait progressivement laissé la place
à une surface bien plus rugueuse, pour conduire finalement
à des pièces et des couloirs que plus personne n’avait
visités depuis l’époque où les morts avaient été déposés là,
ce qui devait remonter à plusieurs siècles avant la fondation
de la cité au-dessus.
Pourtant, alors qu’il progressait, de petits fragments de
crânes de toutes tailles et formes craquaient sous ses pieds,
il se dit que ces cryptes n’étaient pas le pire endroit qu’il
avait eu l’occasion de visiter car il se souvenait des temples
en ruine de la Forêt de Caledon, ou de la Côte Sanglante
dont les plages étaient jonchées de ces cadavres étranges et
malveillants.
Ou Ascalon. Rien n’avait jamais été aussi terrible
qu’Ascalon.
Dougal s’arrêta et se frotta le menton tout en observant
le passage recouvert d’ossements devant lui. Il débouchait
dans une large salle qui s’étendait bien au-delà du cercle de
lumière projeté par sa torche. Là, il n’y avait plus aucun os.
Il n’aimait pas beaucoup ça.
Il leva une main et ses compagnons, la sylvari, la norn
et l’asura sur son golem, celui qui les avait tous engagés
pour cette expédition, s’arrêtèrent à leur tour.
— Un problème ? ricana Clagg.
L’asura s’était montré hostile depuis leur toute première
rencontre, et la moiteur des lieux n’avait rien fait pour
améliorer son humeur.
Le peuple de Clagg avait ressurgi des profondeurs du
monde à peine deux siècles plus tôt, signe précurseur des
changements qui s’annonçaient pour la Tyrie. Ces créatures
étaient plutôt de petite taille avec une tête un peu trop
grosse et un visage plat dont les contours étaient encore
plus prononcés avec leurs longues oreilles, tombantes dans
le cas de Clagg. Leur peau présentait des teintes variées de
gris, leurs grands yeux étaient le résultat de générations
passées dans des grottes éclairées grâce à la magie. Les
asuras n’avaient pas regagné la surface du monde en tant
que réfugiés, mais plutôt comme d’authentiques colons,
confiants en leur supériorité intellectuelle et magique visà-
vis de toutes les races qu’ils avaient pu croiser.
Et, Dougal ne pouvait que l’admettre, la réalité leur
donnait souvent raison.
Clagg était confortablement installé dans le harnais
placé sur le ventre de son golem, une créature représentant
un chef-d’oeuvre de pierre polie et sculptée, et de
bandes de bronze ajustées. Ses membres s’articulaient
sur des joyaux magiques bleutés qui liaient les différents
éléments de cet assemblage sans que l’un et l’autre ne
se touchent réellement. Une force magique, d’une puissance
qui mettait Dougal mal à l’aise, maintenait cette
créature debout. Un énorme cristal placé entre ses imposantes
épaules faisait à la fois office d’yeux et d’oreilles. La
gemme taillée en angles vifs ne cessait de pivoter dans son
logement, observant l’environnement afin de collecter
toujours plus de données.
Clagg l’appelait Briseur et semblait bien plus préoccupé
par son bien-être que celui de tout autre membre du petit
groupe.
— J’ai dit : « un problème ? » répéta l’asura, ses petites
dents de requin apparentes sous l’effet de son irritation.
Dougal avait rarement vu un asura sourire, et quand cela
arrivait ce n’était (de son point de vue) jamais très rassurant.
— Quelque chose ne va pas, répondit Dougal en
prenant bien garde à ne pas élever la voix.
— Ces humains, chuchota Gyda Oddsdottir en
secouant la tête. Les clochettes d’argent passées dans sa
longue crinière de guerrière s’agitèrent bruyamment. Ils
passent leur temps à temporiser au lieu de passer à l’action.
Elle posa son énorme marteau sur le sol avec un bruit
sourd, réduisant en poussière un crâne.
Dougal grimaça, pas à cause des paroles de la norn,
mais à cause du raffut qu’elle faisait. Avec ses neuf pieds
de haut et toutes ses armes, elle faisait encore plus de bruit
que le golem de l’asura. Cette fille originaire des lointaines
régions enneigées des Cimefroides se moquait totalement
qu’on l’entende arriver, elle préférait même avertir
ses ennemis de son approche. Dans cette moite chaleur
ambiante, sa peau généreusement tatouée luisait de sueur.
Les ancêtres de Gyda avaient eux aussi été des réfugiés,
ils avaient dû fuir devant le réveil de l’un des dragons
ancestraux au nord. Les norns étaient un peuple robuste,
vaillant et fier, prompts à s’emporter, mais tout autant à
pardonner. Depuis qu’il avait quitté Noirfaucon, Dougal
avait croisé de bons comme de mauvais norns. Les bons
considéraient chaque jour comme une aventure, chaque
problème à régler comme un défi et chaque ennemi
comme l’occasion de travailler à leur gloire personnelle.
La plupart des gens ne comprenaient pas à quel point
les endroits les plus sombres de ce monde pouvaient
être dangereux, les norns se réjouissaient d’avance de les
explorer tous.
Gyda, cependant, faisait définitivement partie de la
deuxième catégorie des norns : vantarde, hautaine et détestable
au plus haut point. Elle était à la fois méprisante et
insultante, comme si les actions de ceux qui l’entouraient
risquaient de lui faire de l’ombre. Dougal n’aimait pas la
voir sourire. Jamais.
— Le sol est trop propre, dit-il en parlant à Clagg, mais
s’adressant en réalité à Gyda. Pas d’ossements. Personne
n’a été enterré ici.
— Et cela signifie qu’il y a un piège, commenta Killeen,
le dernier membre du groupe, la sylvari, de sa voix douce
et mélodieuse.
Dougal hocha la tête. La nécromante sylvari était sans
aucun doute la personne la plus plaisante de leur petit
groupe hétéroclite, lui inclus. Plus petite qu’un humain,
mais sans l’être autant que l’asura, sa peau était verdâtre et
ses cheveux plus semblables au feuillage d’un arbre qu’à
une toison humaine. Quand elle se déplaçait, elle laissait
derrière elle voler des grains de pollen.
Cette apparence humanoïde, Dougal le savait, n’était
qu’un leurre. Killeen et ses semblables naissaient comme
des fruits, totalement formés, accrochés aux branches
d’un grand arbre aux ramures blanches, loin dans le sud.
Ses chairs n’avaient pas la chaleur de celles des animaux.
Les sylvaris n’étaient qu’une récente addition à la faune
de ce monde, cette race était en fait à peine plus vieille
que Dougal lui-même, mais elle s’était déjà largement
répandue, comme un lierre grimpant. Killeen disposait de
tous les traits de son espèce : elle était honnête, droite et
franche. Dans de nombreux domaines, elle l’était même
plus que la plupart des humains qu’il connaissait,
c’était d’ailleurs ce point qui mettait Dougal le plus mal
à l’aise à son égard.
Killeen avait pris l’avertissement de Dougal au sérieux,
mais Gyda grogna.
— Je crois que tu veux juste nous éloigner de notre but.
— Qu’est-ce qui pourrait déclencher ce piège ? demanda
la sylvari en ignorant la remarque de la norn.
Dougal se tourna vers cette dernière.
— Pas le bruit, en tout cas. Les vibrations, peut-être, ou
la pression.
— L’humain a probablement raison, dit Clagg, installé
dans le relatif confort de son harnais. J’imagine que parfois
même un aveugle peut dénicher un diamant.
L’asura joua avec un rang de cristaux placé devant lui,
puis il acquiesça pour lui-même.
— Ah oui, le voici. Rustique, mais efficace.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Dougal.
Il haïssait poser ce genre de questions, tant il savait
l’asura toujours pressé de démontrer à quel point il était
brillant. Pour ses semblables, la seule raison d’exister des
autres peuples était de leur servir de bêtes de somme et de
chair à canon, ou de poser des questions idiotes.
— Si l’un de nous avait été assez stupide pour entrer
dans cette pièce, annonça Clagg en détachant bien
chacune de ses syllabes, il aurait déclenché une explosion
mortelle.
Gyda pouffa, comme si nulle déflagration ne pourrait
avoir raison d’elle, qu’elle soit de nature magique ou pas.
Pourtant, Dougal remarqua que, pour une fois, ses pieds
étaient restés cloués là où ils étaient.
— S’il s’agit d’un piège, Dougal ne peut-il pas le désamorcer
? s’enquit Killeen. N’est-ce pas pour cela qu’il a
été engagé ?
Provenant de la bouche de n’importe qui d’autre, cette
remarque aurait été emplie de sarcasme et d’animosité.
Pour la sylvari, les mots n’avaient pas d’autre portée que
leur signification première. C’était en fait pour cette raison
qu’elle participait à cette expédition : ses connaissances. En
matière de pièges, d’histoire, de choses du monde…
— Il m’a engagé pour mon expérience en matière de
récupération de puissants artefacts, répondit Dougal.
— En pillage de tombes, tu veux dire, grommela Gyda.
Dougal l’ignora.
— Quelqu’un a-t-il des commentaires utiles à faire ?
demanda-t-il.
— La question de Tête-de-fleur est pourtant sensée, dit
Clagg avec le ton d’un maître d’école. C’est pour cela que
tu es là, humain. Nous savons que le piège est là, maintenant,
débrouille-toi pour le neutraliser.
Dougal se baissa et ramassa un crâne, en essayant de se
dire qu’il ne s’agissait pas de celui de l’un de ses ancêtres.
Il visa le point central de la salle et toucha d’un doigt le
médaillon placé sous sa ceinture pour se donner de la
chance, puis il fit rouler le crâne au sol.
Rien. Il en ramassa un autre, qu’il fit rouler en visant un
autre endroit. Encore rien. Il en prit un troisième.
Gyda roula des yeux et croisa les bras, gagnée par
l’impatience. Clagg secoua la tête, comme si Dougal était
un élève rétif à ses enseignements.
— Ce n’est pas déclenché par le bruit, dit Dougal. Ni
par les vibrations ou les mouvements. Cela nous laisse le
poids. Il faudrait lancer quelque chose de lourd.
Il avait prononcé cela avec un coup d’oeil vers Gyda.
— Hors de question que je serve de sujet à tes expériences,
lui rétorqua la norn en le regardant de haut.
— Le golem, alors, proposa Dougal.
— Oubliez ça, lui envoya Clagg sèchement. Je n’ai pas
assemblé Briseur pour le voir pulvérisé dans une débauche
de pyrotechnie. Débrouille-toi, humain.
— Tu te soucies plus de cette statue qui marche que de
nous tous, lui fit remarquer Gyda.
— Absolument pas, se défendit l’asura. C’est juste une
question d’investissement qui n’est pas du tout équivalent.
Les yeux de Killeen étincelèrent d’une petite lueur
verdâtre.
— Je peux peut-être aider.
La sylvari baissa les yeux et se concentra sur quelques
ossements alignés contre la paroi gauche du tunnel. Ses
bras et ses mains effectuèrent des passes complexes et
elle prononça des paroles qui provoquèrent chez Dougal
un léger mal de tête. Une aura verte apparut sur le tas
d’ossements et se matérialisa autour de restes vaguement
humains.
Dougal vit les os se séparer des autres et s’assembler
pour constituer un squelette cohérent. L’aura verte le maintenait
debout, remplaçant muscles et tendons. Le côté
droit du crâne avait été enfoncé et la mâchoire inférieure
manquait, de même qu’une moitié du bras droit qui se
terminait en une paire d’os brisés. Il se tenait devant eux
comme un serviteur en attente d’instructions.
Dougal frissonna lorsque Killeen posa sur la créature
un petit sourire satisfait. Elle effectua quelques autres
gestes, le squelette leur tourna le dos et se dandina le long
du tunnel, en direction de la salle.
Dougal leva les yeux vers le plafond recouvert d’ossements
et se dit qu’il devait y avoir de la terre et des pierres
là-haut, derrière tous ces restes, et qu’ils ne se trouvaient
pas dans un tunnel creusé dans une montagne de restes
humains.
— Attends, dit-il en tendant une main vers Killeen,
laquelle souriait en voyant s’éloigner sa création. Nous
devrions nous replier un peu et prendre…
L’explosion lui coupa la parole. Le squelette animé
disparut dans une boule de feu et un nuage de fumée.
Dougal se laissa tomber au sol et se protégea la tête de
ses bras ; il se retrouva bombardé d’une pluie de fragments
osseux qui rebondirent tout autour de lui. Un débris effilé
vint même se planter dans son épaisse chemise de cuir,
comme la griffe d’un revenant.
Dougal se redressa et vit Clagg en train d’observer la
caverne, les lèvres retroussées.
— Rustique, mais efficace, commenta l’asura.
Gyda dépassa Dougal et ricana. Elle avança jusqu’au
cercle noirci représentant l’endroit où s’était tenu le squelette
animé.
— Bien joué, l’arbrisseau, envoya-t-elle à Killeen. Toi,
au moins, tu mérites tes émoluments !
Dougal grimaça sous l’insulte déguisée.
— Nous devons poursuivre, annonça-t-il à l’intention
de tout le groupe. Je ne sais pas combien de temps
il faudra à ce piège pour se réarmer, ça pourrait prendre
des jours, ou quelques minutes. Il était peut-être aussi
à usage unique, mais nous n’avons aucun moyen de le
savoir.
Cette fois-ci, Gyda éclata de rire.
— Ce qu’il voulait dire, c’était : merci sylvari pour avoir
fait mon travail !
Les joues de Killeen s’assombrirent.
— Accepte mes excuses, dit-elle à Dougal. Je ne
voulais pas marcher sur tes plates-bandes. J’ai juste fait
en sorte de neutraliser ce piège sans que qui que ce soit
n’en souffre.
Dougal grimaça. Il ne doutait pas que ses excuses furent
sincères, mais c’était encore pire.
— Tu aurais pu nous avertir, répondit-il d’un ton qu’il
aurait préféré plus amical. Ou nous laisser le temps de
nous replier. Tu aurais pu faire s’effondrer tout le plafond
sur nos têtes.
— Je vois, dit Killeen d’un air pensif. Je n’ai pas voulu
mettre notre expédition en danger.
— Non, bien sûr, ajouta Dougal, un peu mal à l’aise
pour l’avoir mise dans l’embarras.
Il ne pouvait qu’admirer la sincérité de la sylvari.
— C’est peut-être à cause de cet endroit, répondit-elle
en relevant le menton. Il est fascinant. Pour mon peuple,
la mort fait partie intégrante de la vie. Nous la révérons
totalement, y compris dans ses aspects les plus sombres,
mais nous ne la comprenons pas. Pas encore. Elle observa
la salle, les yeux grands ouverts. Et même ainsi, reprit-elle,
jamais nous ne lui édifierions un tel monument.
— Ce n’est pas un monument érigé pour les morts,
mais plutôt un testament à l’intention des vivants, lui
expliqua Dougal d’une voix qu’il voulut bienveillante.
Il sentit son irritation se dissiper, celle à l’encontre de la
sylvari, en tout cas.
— Allons-y. Faisons très attention en progressant,
ajouta-t-il en élevant la voix pour que tout le monde puisse
l’entendre. Nous devrions trouver d’autres pièges comme
celui-ci !
— T’as vraiment l’air d’une vieille, humain ! ricana
Gyda. Mais même ma grand-mère Ulrica se montrerait
moins hésitante que toi, et ça fait sept ans qu’elle est
morte. Elle donna un coup de pied dans un tas d’ossements
et leva une torche. Tu t’inquiètes trop ! Que serait
la vie sans danger !
— Plus longue, répondit Dougal.
Il emboîta le pas de la norn quand elle avança. C’était
la première fois qu’il collaborait avec un membre de ce
peuple. Ils pouvaient être d’une carrure impressionnante,
leur témérité avait cependant des limites. Les fanfaronnades
de Gyda devaient dissimuler une faiblesse. Dougal
ne lui fit pas remarquer son indéniable réticence à
s’aventurer dans cette salle alors que le piège n’était pas
encore désactivé.
— Bah ! Une telle existence te semblera juste plus
longue, comme un interminable repas sans saveur,
conclut-elle.
Dougal remarqua alors que la température avait légèrement
baissé. Une fois tout le petit groupe dans la pièce,
la norn et lui levèrent bien haut leurs torches. La lumière
révéla une substance épaisse et grise pendant d’entre les
restes squelettiques, au plus haut du dôme que constituait
le plafond de la salle.
Dougal leva une main pour ne pas être gêné par la
lumière de sa torche et observa la substance. Il pensa tout
d’abord qu’il s’agissait d’une sorte de mousse, mais il
comprit rapidement.
Des toiles.
Dougal jura entre ses dents. Il lança un avertissement,
mais le cri aigu de Killeen le couvrit totalement. Il se
retourna juste à temps pour voir la sylvari disparaître dans
un trou qui venait de s’ouvrir dans le sol.
Au fil des ans, Dougal Keane avait développé une règle de
conduite personnelle : ne jamais se lancer à l’aventure avec
des personnes qu’on apprécie. Si la situation était tendue,
cela pouvait se transformer en : ne jamais se lancer à l’aventure
avec des personnes qu’on ne voudrait surtout pas voir
mourir. Là, au plus profond des cryptes sous le Promontoire
Divin, il était en parfaite concordance avec cette règle, car
il détestait au plus haut point ses compagnons. Il détestait
tout autant sa mission. Pire que tout, à cet instant même, il
pestait contre la chaleur moite ambiante.
L’accablante température estivale qui enveloppait
le Promontoire Divin en surface s’était insinuée jusque
dans les boyaux de ce complexe funéraire, où elle suintait
comme une blessure oubliée. Les vents qui balayaient la
paroi rocheuse où s’ouvraient les entrées des catacombes
parvenaient à disperser la puanteur, mais à l’intérieur
des tours et des détours des souterrains, Dougal n’avait
aucune chance d’y échapper. Les gens avaient apporté leurs
morts en ces lieux avant même la fondation de la nouvelle
capitale de la Kryte, il aurait pu jurer parvenir à discerner
l’odeur caractéristique de chacun d’eux.
Leurs explorations les avaient conduits dans des
secteurs dont même Dougal ignorait l’existence. À chaque
nouvel embranchement, Clagg avait consulté sa carte,
puis systématiquement proposé de suivre la direction la
moins fréquentée. La pierre polie de la Porte du Crâne au
Promontoire Divin avait progressivement laissé la place
à une surface bien plus rugueuse, pour conduire finalement
à des pièces et des couloirs que plus personne n’avait
visités depuis l’époque où les morts avaient été déposés là,
ce qui devait remonter à plusieurs siècles avant la fondation
de la cité au-dessus.
Pourtant, alors qu’il progressait, de petits fragments de
crânes de toutes tailles et formes craquaient sous ses pieds,
il se dit que ces cryptes n’étaient pas le pire endroit qu’il
avait eu l’occasion de visiter car il se souvenait des temples
en ruine de la Forêt de Caledon, ou de la Côte Sanglante
dont les plages étaient jonchées de ces cadavres étranges et
malveillants.
Ou Ascalon. Rien n’avait jamais été aussi terrible
qu’Ascalon.
Dougal s’arrêta et se frotta le menton tout en observant
le passage recouvert d’ossements devant lui. Il débouchait
dans une large salle qui s’étendait bien au-delà du cercle de
lumière projeté par sa torche. Là, il n’y avait plus aucun os.
Il n’aimait pas beaucoup ça.
Il leva une main et ses compagnons, la sylvari, la norn
et l’asura sur son golem, celui qui les avait tous engagés
pour cette expédition, s’arrêtèrent à leur tour.
— Un problème ? ricana Clagg.
L’asura s’était montré hostile depuis leur toute première
rencontre, et la moiteur des lieux n’avait rien fait pour
améliorer son humeur.
Le peuple de Clagg avait ressurgi des profondeurs du
monde à peine deux siècles plus tôt, signe précurseur des
changements qui s’annonçaient pour la Tyrie. Ces créatures
étaient plutôt de petite taille avec une tête un peu trop
grosse et un visage plat dont les contours étaient encore
plus prononcés avec leurs longues oreilles, tombantes dans
le cas de Clagg. Leur peau présentait des teintes variées de
gris, leurs grands yeux étaient le résultat de générations
passées dans des grottes éclairées grâce à la magie. Les
asuras n’avaient pas regagné la surface du monde en tant
que réfugiés, mais plutôt comme d’authentiques colons,
confiants en leur supériorité intellectuelle et magique visà-
vis de toutes les races qu’ils avaient pu croiser.
Et, Dougal ne pouvait que l’admettre, la réalité leur
donnait souvent raison.
Clagg était confortablement installé dans le harnais
placé sur le ventre de son golem, une créature représentant
un chef-d’oeuvre de pierre polie et sculptée, et de
bandes de bronze ajustées. Ses membres s’articulaient
sur des joyaux magiques bleutés qui liaient les différents
éléments de cet assemblage sans que l’un et l’autre ne
se touchent réellement. Une force magique, d’une puissance
qui mettait Dougal mal à l’aise, maintenait cette
créature debout. Un énorme cristal placé entre ses imposantes
épaules faisait à la fois office d’yeux et d’oreilles. La
gemme taillée en angles vifs ne cessait de pivoter dans son
logement, observant l’environnement afin de collecter
toujours plus de données.
Clagg l’appelait Briseur et semblait bien plus préoccupé
par son bien-être que celui de tout autre membre du petit
groupe.
— J’ai dit : « un problème ? » répéta l’asura, ses petites
dents de requin apparentes sous l’effet de son irritation.
Dougal avait rarement vu un asura sourire, et quand cela
arrivait ce n’était (de son point de vue) jamais très rassurant.
— Quelque chose ne va pas, répondit Dougal en
prenant bien garde à ne pas élever la voix.
— Ces humains, chuchota Gyda Oddsdottir en
secouant la tête. Les clochettes d’argent passées dans sa
longue crinière de guerrière s’agitèrent bruyamment. Ils
passent leur temps à temporiser au lieu de passer à l’action.
Elle posa son énorme marteau sur le sol avec un bruit
sourd, réduisant en poussière un crâne.
Dougal grimaça, pas à cause des paroles de la norn,
mais à cause du raffut qu’elle faisait. Avec ses neuf pieds
de haut et toutes ses armes, elle faisait encore plus de bruit
que le golem de l’asura. Cette fille originaire des lointaines
régions enneigées des Cimefroides se moquait totalement
qu’on l’entende arriver, elle préférait même avertir
ses ennemis de son approche. Dans cette moite chaleur
ambiante, sa peau généreusement tatouée luisait de sueur.
Les ancêtres de Gyda avaient eux aussi été des réfugiés,
ils avaient dû fuir devant le réveil de l’un des dragons
ancestraux au nord. Les norns étaient un peuple robuste,
vaillant et fier, prompts à s’emporter, mais tout autant à
pardonner. Depuis qu’il avait quitté Noirfaucon, Dougal
avait croisé de bons comme de mauvais norns. Les bons
considéraient chaque jour comme une aventure, chaque
problème à régler comme un défi et chaque ennemi
comme l’occasion de travailler à leur gloire personnelle.
La plupart des gens ne comprenaient pas à quel point
les endroits les plus sombres de ce monde pouvaient
être dangereux, les norns se réjouissaient d’avance de les
explorer tous.
Gyda, cependant, faisait définitivement partie de la
deuxième catégorie des norns : vantarde, hautaine et détestable
au plus haut point. Elle était à la fois méprisante et
insultante, comme si les actions de ceux qui l’entouraient
risquaient de lui faire de l’ombre. Dougal n’aimait pas la
voir sourire. Jamais.
— Le sol est trop propre, dit-il en parlant à Clagg, mais
s’adressant en réalité à Gyda. Pas d’ossements. Personne
n’a été enterré ici.
— Et cela signifie qu’il y a un piège, commenta Killeen,
le dernier membre du groupe, la sylvari, de sa voix douce
et mélodieuse.
Dougal hocha la tête. La nécromante sylvari était sans
aucun doute la personne la plus plaisante de leur petit
groupe hétéroclite, lui inclus. Plus petite qu’un humain,
mais sans l’être autant que l’asura, sa peau était verdâtre et
ses cheveux plus semblables au feuillage d’un arbre qu’à
une toison humaine. Quand elle se déplaçait, elle laissait
derrière elle voler des grains de pollen.
Cette apparence humanoïde, Dougal le savait, n’était
qu’un leurre. Killeen et ses semblables naissaient comme
des fruits, totalement formés, accrochés aux branches
d’un grand arbre aux ramures blanches, loin dans le sud.
Ses chairs n’avaient pas la chaleur de celles des animaux.
Les sylvaris n’étaient qu’une récente addition à la faune
de ce monde, cette race était en fait à peine plus vieille
que Dougal lui-même, mais elle s’était déjà largement
répandue, comme un lierre grimpant. Killeen disposait de
tous les traits de son espèce : elle était honnête, droite et
franche. Dans de nombreux domaines, elle l’était même
plus que la plupart des humains qu’il connaissait,
c’était d’ailleurs ce point qui mettait Dougal le plus mal
à l’aise à son égard.
Killeen avait pris l’avertissement de Dougal au sérieux,
mais Gyda grogna.
— Je crois que tu veux juste nous éloigner de notre but.
— Qu’est-ce qui pourrait déclencher ce piège ? demanda
la sylvari en ignorant la remarque de la norn.
Dougal se tourna vers cette dernière.
— Pas le bruit, en tout cas. Les vibrations, peut-être, ou
la pression.
— L’humain a probablement raison, dit Clagg, installé
dans le relatif confort de son harnais. J’imagine que parfois
même un aveugle peut dénicher un diamant.
L’asura joua avec un rang de cristaux placé devant lui,
puis il acquiesça pour lui-même.
— Ah oui, le voici. Rustique, mais efficace.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Dougal.
Il haïssait poser ce genre de questions, tant il savait
l’asura toujours pressé de démontrer à quel point il était
brillant. Pour ses semblables, la seule raison d’exister des
autres peuples était de leur servir de bêtes de somme et de
chair à canon, ou de poser des questions idiotes.
— Si l’un de nous avait été assez stupide pour entrer
dans cette pièce, annonça Clagg en détachant bien
chacune de ses syllabes, il aurait déclenché une explosion
mortelle.
Gyda pouffa, comme si nulle déflagration ne pourrait
avoir raison d’elle, qu’elle soit de nature magique ou pas.
Pourtant, Dougal remarqua que, pour une fois, ses pieds
étaient restés cloués là où ils étaient.
— S’il s’agit d’un piège, Dougal ne peut-il pas le désamorcer
? s’enquit Killeen. N’est-ce pas pour cela qu’il a
été engagé ?
Provenant de la bouche de n’importe qui d’autre, cette
remarque aurait été emplie de sarcasme et d’animosité.
Pour la sylvari, les mots n’avaient pas d’autre portée que
leur signification première. C’était en fait pour cette raison
qu’elle participait à cette expédition : ses connaissances. En
matière de pièges, d’histoire, de choses du monde…
— Il m’a engagé pour mon expérience en matière de
récupération de puissants artefacts, répondit Dougal.
— En pillage de tombes, tu veux dire, grommela Gyda.
Dougal l’ignora.
— Quelqu’un a-t-il des commentaires utiles à faire ?
demanda-t-il.
— La question de Tête-de-fleur est pourtant sensée, dit
Clagg avec le ton d’un maître d’école. C’est pour cela que
tu es là, humain. Nous savons que le piège est là, maintenant,
débrouille-toi pour le neutraliser.
Dougal se baissa et ramassa un crâne, en essayant de se
dire qu’il ne s’agissait pas de celui de l’un de ses ancêtres.
Il visa le point central de la salle et toucha d’un doigt le
médaillon placé sous sa ceinture pour se donner de la
chance, puis il fit rouler le crâne au sol.
Rien. Il en ramassa un autre, qu’il fit rouler en visant un
autre endroit. Encore rien. Il en prit un troisième.
Gyda roula des yeux et croisa les bras, gagnée par
l’impatience. Clagg secoua la tête, comme si Dougal était
un élève rétif à ses enseignements.
— Ce n’est pas déclenché par le bruit, dit Dougal. Ni
par les vibrations ou les mouvements. Cela nous laisse le
poids. Il faudrait lancer quelque chose de lourd.
Il avait prononcé cela avec un coup d’oeil vers Gyda.
— Hors de question que je serve de sujet à tes expériences,
lui rétorqua la norn en le regardant de haut.
— Le golem, alors, proposa Dougal.
— Oubliez ça, lui envoya Clagg sèchement. Je n’ai pas
assemblé Briseur pour le voir pulvérisé dans une débauche
de pyrotechnie. Débrouille-toi, humain.
— Tu te soucies plus de cette statue qui marche que de
nous tous, lui fit remarquer Gyda.
— Absolument pas, se défendit l’asura. C’est juste une
question d’investissement qui n’est pas du tout équivalent.
Les yeux de Killeen étincelèrent d’une petite lueur
verdâtre.
— Je peux peut-être aider.
La sylvari baissa les yeux et se concentra sur quelques
ossements alignés contre la paroi gauche du tunnel. Ses
bras et ses mains effectuèrent des passes complexes et
elle prononça des paroles qui provoquèrent chez Dougal
un léger mal de tête. Une aura verte apparut sur le tas
d’ossements et se matérialisa autour de restes vaguement
humains.
Dougal vit les os se séparer des autres et s’assembler
pour constituer un squelette cohérent. L’aura verte le maintenait
debout, remplaçant muscles et tendons. Le côté
droit du crâne avait été enfoncé et la mâchoire inférieure
manquait, de même qu’une moitié du bras droit qui se
terminait en une paire d’os brisés. Il se tenait devant eux
comme un serviteur en attente d’instructions.
Dougal frissonna lorsque Killeen posa sur la créature
un petit sourire satisfait. Elle effectua quelques autres
gestes, le squelette leur tourna le dos et se dandina le long
du tunnel, en direction de la salle.
Dougal leva les yeux vers le plafond recouvert d’ossements
et se dit qu’il devait y avoir de la terre et des pierres
là-haut, derrière tous ces restes, et qu’ils ne se trouvaient
pas dans un tunnel creusé dans une montagne de restes
humains.
— Attends, dit-il en tendant une main vers Killeen,
laquelle souriait en voyant s’éloigner sa création. Nous
devrions nous replier un peu et prendre…
L’explosion lui coupa la parole. Le squelette animé
disparut dans une boule de feu et un nuage de fumée.
Dougal se laissa tomber au sol et se protégea la tête de
ses bras ; il se retrouva bombardé d’une pluie de fragments
osseux qui rebondirent tout autour de lui. Un débris effilé
vint même se planter dans son épaisse chemise de cuir,
comme la griffe d’un revenant.
Dougal se redressa et vit Clagg en train d’observer la
caverne, les lèvres retroussées.
— Rustique, mais efficace, commenta l’asura.
Gyda dépassa Dougal et ricana. Elle avança jusqu’au
cercle noirci représentant l’endroit où s’était tenu le squelette
animé.
— Bien joué, l’arbrisseau, envoya-t-elle à Killeen. Toi,
au moins, tu mérites tes émoluments !
Dougal grimaça sous l’insulte déguisée.
— Nous devons poursuivre, annonça-t-il à l’intention
de tout le groupe. Je ne sais pas combien de temps
il faudra à ce piège pour se réarmer, ça pourrait prendre
des jours, ou quelques minutes. Il était peut-être aussi
à usage unique, mais nous n’avons aucun moyen de le
savoir.
Cette fois-ci, Gyda éclata de rire.
— Ce qu’il voulait dire, c’était : merci sylvari pour avoir
fait mon travail !
Les joues de Killeen s’assombrirent.
— Accepte mes excuses, dit-elle à Dougal. Je ne
voulais pas marcher sur tes plates-bandes. J’ai juste fait
en sorte de neutraliser ce piège sans que qui que ce soit
n’en souffre.
Dougal grimaça. Il ne doutait pas que ses excuses furent
sincères, mais c’était encore pire.
— Tu aurais pu nous avertir, répondit-il d’un ton qu’il
aurait préféré plus amical. Ou nous laisser le temps de
nous replier. Tu aurais pu faire s’effondrer tout le plafond
sur nos têtes.
— Je vois, dit Killeen d’un air pensif. Je n’ai pas voulu
mettre notre expédition en danger.
— Non, bien sûr, ajouta Dougal, un peu mal à l’aise
pour l’avoir mise dans l’embarras.
Il ne pouvait qu’admirer la sincérité de la sylvari.
— C’est peut-être à cause de cet endroit, répondit-elle
en relevant le menton. Il est fascinant. Pour mon peuple,
la mort fait partie intégrante de la vie. Nous la révérons
totalement, y compris dans ses aspects les plus sombres,
mais nous ne la comprenons pas. Pas encore. Elle observa
la salle, les yeux grands ouverts. Et même ainsi, reprit-elle,
jamais nous ne lui édifierions un tel monument.
— Ce n’est pas un monument érigé pour les morts,
mais plutôt un testament à l’intention des vivants, lui
expliqua Dougal d’une voix qu’il voulut bienveillante.
Il sentit son irritation se dissiper, celle à l’encontre de la
sylvari, en tout cas.
— Allons-y. Faisons très attention en progressant,
ajouta-t-il en élevant la voix pour que tout le monde puisse
l’entendre. Nous devrions trouver d’autres pièges comme
celui-ci !
— T’as vraiment l’air d’une vieille, humain ! ricana
Gyda. Mais même ma grand-mère Ulrica se montrerait
moins hésitante que toi, et ça fait sept ans qu’elle est
morte. Elle donna un coup de pied dans un tas d’ossements
et leva une torche. Tu t’inquiètes trop ! Que serait
la vie sans danger !
— Plus longue, répondit Dougal.
Il emboîta le pas de la norn quand elle avança. C’était
la première fois qu’il collaborait avec un membre de ce
peuple. Ils pouvaient être d’une carrure impressionnante,
leur témérité avait cependant des limites. Les fanfaronnades
de Gyda devaient dissimuler une faiblesse. Dougal
ne lui fit pas remarquer son indéniable réticence à
s’aventurer dans cette salle alors que le piège n’était pas
encore désactivé.
— Bah ! Une telle existence te semblera juste plus
longue, comme un interminable repas sans saveur,
conclut-elle.
Dougal remarqua alors que la température avait légèrement
baissé. Une fois tout le petit groupe dans la pièce,
la norn et lui levèrent bien haut leurs torches. La lumière
révéla une substance épaisse et grise pendant d’entre les
restes squelettiques, au plus haut du dôme que constituait
le plafond de la salle.
Dougal leva une main pour ne pas être gêné par la
lumière de sa torche et observa la substance. Il pensa tout
d’abord qu’il s’agissait d’une sorte de mousse, mais il
comprit rapidement.
Des toiles.
Dougal jura entre ses dents. Il lança un avertissement,
mais le cri aigu de Killeen le couvrit totalement. Il se
retourna juste à temps pour voir la sylvari disparaître dans
un trou qui venait de s’ouvrir dans le sol.
Source:
- Spoiler:
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